L'Empereur Macédonien arpentait d'un pas tranquille le camp militaire installé dans sa nouvelle province de Walachia. Il lui fallait plusieurs heures pour en faire le tour, veiller au moral des troupes, contrôler le calme des éléphants, donner des consignes à ses lieutenants, aux cormacks, aux cuisiniers.
Le contraste avec le passé récent était saisissant. Alexandre avait passé plusieurs saisons, depuis son arrivée en Bakony et la victoire de ses armées en Ludgorie sur Erik de Raez, sans aucun soldat à ses côtés, avec pour seule compagnie une intendance minimaliste et son écureuil.
Ses sens étaient restés en éveil mais l'inaction militaire avait forcément déteint sur sa personnalité. Il écrivait beaucoup plus et alternait les périodes de bon moral avec des accès de profonde mélancolie, d'où seul son facétieux rongeur parvenait à le sortir. Ses mimiques, ses cabrioles, ses jeux avec sa légendaire noisette le divertissaient, l'attendrissaient, mais lui faisaient prendre conscience également de certains aspects de la vie, beaucoup plus simples et naturels que l'apparence de nid de scorpions que l'Europe donnait trop souvent.
Le Macédonien avait conscience d'être passé, pour la deuxième fois depuis le début de la course au trône anniversaire de la lignée des Marmont, tout prêt du désastre. Son Empire s'était pour la deuxième fois retrouvé en situation d'être balayé par des forces supérieures en nombre, sans autre espoir que de porter lui même la désolation vers les terres ennemies et abandonnant ainsi ses propres terres.
La voie initialement choisie par Alexandre était très subtile et d'apparence morne et sans risque. Et pourtant, qui se rappelait des premiers combats, des pillages, du rythme effréné des conquêtes basé sur un choc multiple, rapide, et massif, au prix d'une économie de guerre dont il payait encore les conséquences à l'heure actuelle ?
Par deux fois sa position d'apparence favorable, son potentiel territorial, et la Réputation, avaient conduit certains seigneurs à oeuvrer à sa perte, dans l'ombre ou le mensonge.
Par deux fois sa plume, aidée par Dame Fortune, avait permis de détourner de ses frontières le raz de marée qui allait les submerger.
Il repensa à l'un de ses généraux, motivé mais encore peu aguerri, et à l'une de ses répliques le soir au bord du feu de camp."Mais, est-ce qu'une plume, c'est redondant" ?La Macédonien s'était alors contenté de sourire, tout en se disant mentalement que son général avait fait du second degré sans même le savoir. Puis il avait tenté d'établir un parallèle hardi entre une plume et un fenouil mais si la partie tigeuse pouvait être comparée sans trop de problème, il avait plus de mal avec la partie boulière ou sporadique.Il avait fini par répondre : "les deux, avec la partie tigeuse, tu peux piquer, et avec la partie plumeuse, tu peux caresser la joue de tes interlocuteurs, en fait ce sont les deux aspects consubstantiels de la diplomatie".
Alexandre s'était vite aperçu de l'erreur qu'il avait commise en voyant le regard ahuri de son lieutenant, fit un vague signe de la main et s'éloigna dans un soupir de fatigue.
Il avait achevé à présent le tour du camp et atteignit sa tente de commandement dans laquelle il s'engouffra pour lire des derniers messages et comptes rendus.
Le petit écureuil se jeta sur la couche, plus serein après le tumulte du dehors auquel il n'était pas habitué.Une armée de plus de 7000 hommes, il n'en avait jamais vu et ça faisait du bruit.Le Macédonien découvrit avec satisfaction que la Grèce avait été pacifiée et l'Exilé bouté hors de ses terres. Un rictus mauvais s'afficha sur ses lèvres lorsqu'il se remémora les insultes que le beau père de Godfred lui avait adressées la saison dernière. L'incident était clos.
Il comprit que Zoulou après lui avoir déclaré la guerre était demeuré statique, probablement dépité après la désertion de ses 34 000 soldats sous la pression de son valeureux Siamois.
Il lut toutefois une curiosité. Le chevalier El Espionne était toujours là, et il restait à Zoulou… 1 soldat. Il était pourtant convaincu de l'avoir tué lors de l'assaut de Walachia. Il avait vu ses éléphants lancés à pleine vitesse sur les lignes ennemies terrifiées qui rompaient les rangs, puis ses phalanges ordonnées qui massacrèrent jusqu'au dernier les soldats de son ennemi. Il avait aperçu El Espionne encerclé par son armée avant que la poussière du combat ne le dissimule à ses yeux. Comment avait il pu en réchapper ?
En analysant le compte rendu royal il obtint sa réponse :
'Alexandre (141765) est confronté à l'armée 96394 de 7455 hommes commandée par EL ESPIONNE (142462).
Forces en présence :'Alexandre (141765) : 8669 hommes
EL ESPIONNE (142462) : 7455 hommes
(…)
L'armée de 'Alexandre (141765) prend le dessus et inflige un perte de 1166 hommes à celle de EL ESPIONNE (142462).L'armée de 'Alexandre (141765) subit tout de même une perte de 72 hommes.
'Alexandre (141765) gagne 2 en renommée.EL ESPIONNE (142462) perd 3 en renommée.
'Alexandre (141765) a perdu 1584 hommes au cours de la bataille.EL ESPIONNE (142462) a perdu 7454 hommes au cours de la bataille.
EL ESPIONNE (142462) ordonne à ses hommes de fuir. Ils seront rapatriés dans la mesure du possible.EL ESPIONNE (142462) perd 17 points de renommée.
'Alexandre (141765) a vaincu. Il gagne 40 en renommée.
***
Miraculeusement, sur une armée de 7455 hommes, El Espionne se décida à fuir après l'ultime assaut qui lui en fit perdre 1166 et lui en laissa… un, après en avoir perdu en tout 7454. La poussière et le tumulte aidant, El Espionne avait pu s'échapper, et ce n'était pas une bonne nouvelle.
Néanmoins tout ne pouvait pas être parfait. La paix avec le Vieil Ours était d'une incommensurable importance. Et pourtant, l'intérêt réciproque de cette paix était si évident.L'Europe entière se pourléchait les babines de voir s'affronter deux des principaux prétendants au trône, espérant secrètement que leur combat les emporte tous les deux dans la tombe.
Mais la Raison, titillée par la Plume, l'avait emporté.
La Raison… la lumière d'un phare dans l'océan de médisances et de paranoïa.
Il s'assit sur sa couche et l'écureuil bondit sur son épaule, le dévisageant. Son maître s'adressa dans son fort intérieur à lui.
"Et oui, pendant que nous jouions, que je te regardais, que je chantais, les meilleurs stratèges européens analysaient mes forces, la répartition de mes chevaliers, ma situation diplomatique. Des débats avaient lieu sur la manière dont j'allais pouvoir gagner en réalisant une multiple félonie. Dans les messages que je recevais, on me servait des "vous pouvez réaliser un +11", des "comment allez vous gagner cette saison", etc… je ne comprenais rien".
Cette frénésie intellectuelle, cet intérêt paranoïaque porté sur sa personne le faisaient sourire. C'est cela, la Gloire, se disait-il. Mais l'important, à ce moment précis, était le regard doux et impertinent du petit rongeur, et de l'aider à chercher sa noisette qui avait dû rouler sous la table basse de sa tente.
