L'Europe était secouée, et toutes les Cours étaient en ébulition. Les mignons faisaient leurs affaires, les jongleurs et autres cracheurs de feu se tapissaient dans les recoins sombres des tavernes les plus mal fréquentées. Même les seigneurs d'habitude si guillerets et aux couleurs barriolées s'affolaient en tout sens.
Comment ! Grands cieux ! Il allait falloir combattre, s'adapter, anticiper, se mettre en danger, prendre des risques. Autant vous dire, petit peuple, que l'heure n'était pas à la franche rigolade en Europe. C'était pourtant l'inverse. Il allait falloir composer avec les puissances du cosmos.
Pour certains, c'était l'occasion de partir la tête la première dans ce qui les inquiétait le plus : de voir un sort défavorable à leur maison. Tout était pourtant prévu, et tout devait se passer comme des roulettes. D'abord, on attendait. On se renforçait gentiment. Puis quand le cerf était maintenu à terre par les chiens, on dégainait en hurlant : "sus à l'ennemi ! je suis le brave, et je suis là pour vous protéger !".
C'était un spectacle tacitement reconduit de génération en génération, et nul ne devait y déroger. Vous comprenez alors le désarroi de la génération entière de seigneurs encore verts du printemps, qui allait devoir mettre les pieds dans la boue. Mais qu'importe. Car les édits royaux pourraient sans coup férir redresser la situation.
Mais voilà, le coeur des seigneurs était enflammé de peur, et de la passion de la guerre. Elle avait frappé à leur porte et désormais, nul retour en arrière n'était possible. Le vent de tempête soufflait, et il soufflait fort.
Dans le grand Est particulièrement, tout semblait se déliter, et on se dirigeait vers une fin du monde assez proche. Un seigneur parmi les seigneurs, le puissant Bricec, maugréait pourtant. Dans sa tenue d'apparât, celui qu'on surnommait "la Terreur" faisait les cent pas. Tout était prêt pour la parade, alors d'où lui venait ce goût amer ?
D'aucuns avaient avancé l'idée qu'il avait pris un mauvais coup là où il ne fallait pas, et que sa gorge s'était donc nouée. Mais les plus instruits savaient qu'il ne se pouvait : le seigneur Bricec était un eunuque, aussi fallait-il trouver d'autres explications. Peut-être était-ce le sentiment qu'on allait lui ravir ses proies, ses petits mignons, avant qu'il ait eu le temps de se déclarer. Il s'en voulait, mais il en voulait surtout aux autres : son attentisme était calculé, sa patience, consommée.
Qui venait mettre des grains de sable dans un rouage pourtant pensé, soupesé, et exécuté d'une main de maître ? Mais qu'importe, rien ne l'empêcherait d'atteindre ses sombres desseins, car il était détenteur d'un savoir millénaire et d'une puissance démesurée. Il serait le prochain Roi, du moins de l'Est, c'était écrit.
Il fallait alors assurer Calydan de son amour, flatter Ogme comme son bon chien, puis s'assurer que Bapt, Pier, Burger et Ten'hynn vivent dans une misère relative, pour pouvoir leur offrir le réconfort qu'apporte la mort. C'était tout à fait faisable.
D'ailleurs, il savait de source sûre que Ten'hynn n'avait aucun chevalier capable de défendre ses terres : elle lui avait révélé elle-même. C'était l'occasion rêvée. Mais avait-elle dit la vérité ? Et était-on sûr que Calydan serait bien opportuniste comme prévu pour se battre plus à l'Ouest ? Et Ogme, allait-il bien rappliquer au son du cor ? Et Moloch... Allait-il bien accepter de jouer sa partition ailleurs ? Oui tout était prêt, en avant !
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Ces interrogations étaient partagées par les sbires de Ten'hynn, qui voyait désormais très clairement l'Ennemi deplier ses tentacules. Mais la Russie n'était qu'un outil dans les projets macchiavéliques de l'Ennemi, et Bricec, qu'un véhicule, tout aussi dangereux qu'il était.
Les populations étaient au désarroi le plus total : depuis deux saison, la Grande Prophétesse ne donnait aucun signe de vie, et avait du mal à signer la moindre missive, captivée par les Ethérés disait-on. Mais elle était bien de retour, prête à affronter la mort dans les yeux.
Elle n'était pas revenue les mains vides du monde des Ethérés. Avec elle se tenait un guerrier légendaire, qui assurerait l'intérim, et dirigerait d'une main de fer les troupes trop longtemps laissées à elle-même.
Octave le Despote s'avançait dans une armure de rouille, les yeux injectés de sang. L'odeur du sang emplissait d'ailleurs la pièce dès qu'il y faisait son entrée.
Etait venue l'heure de la guerre, et les peuplades de Galicie y étaient désormais soumis.
Que le ciel devienne cendre, que la terre se gorge du sang des soldats, et que les mers se déchaînent, car était venue la contre-attaque.
Arda para subire, brûle de t'élever