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#1 19/04/2020 18:45:05

Bricec
Ghost Writer
Blason de la Maison Bricec

La guerre froide et le général hivermouth

Lituanie. Saison 0.

Comme au Commencement, la vie était nue. Blanche comme un linceul. Pas un bruit. La vie luttait pour gagner le droit d'attendre. La vie hibernait. Toute la vie ? Non, une poignée d'irréductibles lituaniens fend le champ de neige à cheval comme si le mètre de neige fraiche n'était en fait qu'une vulgaire soirée mousse. Le groupe arrive rapidement jusqu'au château voisin d'où s'échappent quelques volutes de fumée. 

- Sire ! Sire !
- Gné ? Hic !
- Sire, malgré l'hiver, les blasons de la région se mettent en branle. Il nous faut des directives avant ce soir.
- Branle ? Plus que moi ? Imposs - Hic ! - ble.
- On parle d'une prophétesse au Sud, d'Ogme à l'Ouest...
- Moins d'Ogme, moins de dix putes; moins de dix putes, moins de mâles heurts.
- Pardon Sire ?
- C'est pas mon verre, c'est la faute à Voltaire !
- Chut Sire, on ne parle pas comme ça de ses alliés.
- On n'entre pas sans trinquer ! Non, toquer ! Imbibéciles, allez voir la conseillère au lieu de m'em - Hic ! - bêter !

Le groupe se retire alors de la pièce, titubant déjà sous l'effet des vapeurs d'alcool, et monte l'escalier menant à la plus haute tour de la forteresse.

- Vous avez vu les bocaux vides ?
- Bah quoi, il mange des cornichons toute la journée ?
- Je suis à peu près sûr qu'hier, c'était sa collection de crapauds.
- Quoi ?!
- Sans doute à cause du formol. On doit taper dans le 90 degrés.

Ils frappent.

- Entrez !
- Noble conseillère, nous venons chercher conseil auprès de vous. Les directives pour cette première saison doivent être envoyées aux sbires royaux ce soir, mais l'état du Général ne nous aide pas vraiment. Et nos observateurs ont rapporté l'arrivée d'une prophétesse au sud de nos positions, en Galich.
- Une prophétesse dites-vous ?
- Une certaine Ten'hynn.
- Intéressant ! J'imagine qu'elle est toujours à fond sur ses sortilèges...
- C'est une amie ?
- On peut dire ça. Bon les ordres. C'est pourtant simple : côté imposition, nous devons supprimer la propriété privée. Mettez toutes les richesses en commun. Matez les roitelets qui résisteraient, faites des exemples. Mais attention hein : le monde nous observe, donc nous devons faire croire que nous rendons nos ouailles heureuses. Utilisez une partie du trésor amassé pour repeindre quelques cahutes autour du château, planter quelques fleurs autour du gibet, vous savez toutes ces petites choses qui rendent plus gai.
- Pour Franconia aussi ?
- Il faut que j'aille voir cela de mes propres yeux. Franconia nous a été attribuée à l'aveuglette, je dois impérativement rencontrer le leader de leur prolétariat.
- Leur quoi ?
- Le pauvre qui a été désigné par les autres pauvres pour dire du mal des riches et qui est du coup beaucoup moins pauvre depuis.
- Ah oui. Et côté diplomatie ? L'ambassade attend de savoir quels parchemins envoyer.
- Donnez-les moi, tous. Je m'arrêterai par les fiefs sur le chemin de Franconia.
- Mais ? Même en changeant de cheval toutes les heures vous n'y arriverez pas à temps conseillère !
- Je n'ai pas de cheval. Cela importe peu. Allez, et faites de votre mieux. Ce n'est pas tous les jours qu'on commence une course au trône dans un trou du cul blanc comme neige et avec un ivrogne comme chef.
- A vos ordres conseillère Vissarionovich Djougachvili.

Après avoir regardé le petit groupe s'éloigner du château sur leurs montures, la conseillère retire le voile qui recouvrait une table basse et révèle la présence d'une grosse boule de geisha. Un cadeau d'un lointain parent revenu à pied par la Chine. Elle s'installe à la table et murmure :

- Ten'hynn... Que reviens-tu faire dans ce monde ?

Une voix sensuelle et envoûtante résonne dans la pièce en retour :

- Ma chère, quel plaisir de t'entendre. Je vois que renier le Culte ne t'a pas fait oublier les bases. Mais dis-moi : que puis-je pour toi ma chère Stal'hynn ?

Dernière modification par Bricec (19/04/2020 19:19:19)

Hors ligne

#2 20/04/2020 19:31:01

Bricec
Ghost Writer
Blason de la Maison Bricec

Re : La guerre froide et le général hivermouth

Franconia. Saison 1.

Le soleil se lève doucement, comme un vieux mâle après une soirée trop arrosée. Une silhouette noire encapuchonnée se détache du paysage immaculé, projetant une ombre allongée sur la neige verglassée.

Purée. Et voilà. Bravo Stal'hynn. On voulait faire la grande, vas-y que je sais toujours me téléporter les doigts dans la chatte, c'est comme le gode-vélo ça s'oublie pas. Eh bah si ! Bon j'espère que c'est pas trop le bordel dans le reste du fief. En attendant, y'a toujours pas eu de consignes pour l'imposition ici. Il est où ce prolétaire ?

Une auberge. Des éclats de voix. Un léger vent se lève, faisant grincer l'enseigne défraîchie. "La Fteur Fend un Bruit". Enfin un opprimé qui assume d'avoir perdu la moitié de ses dents dans les combats d'échoppe. Elle entre. Silence.

- Faites fi des sourfils fronfés de fes fieffés affabulateurs, fela fait des luftres qu'ils n'ont pas fanfaronnés auffi près d'une femme fatale.
- Merci l'aubergiste. Je suis assez pressée. Vous auriez une bouteille de mauvaise vodka et un verre ? La plus mauvaise possible la vodka hein.
- Fa oui j'ai ! Je vous fers un faufiffon fec avec fa ?
- Un vrai fiffon m'irait mieux...
- Comment ?
- Non rien, ça ira.

Elle s'installe au fond de l'auberge. Malgré la pénombre, on croirait presque que son ombre se ballade à côté d'elle, animée de ses propres mouvements. Elle s'empare de la bouteille de vodka et la plase sur sa bouche tandis qu'elle colle le verre à son oreille.

- Général ? Général ?
- Gné ?
- Allô ? Vous m'entendez ?
- Aaah ! Comment ça à l'eau ! Vous voulez ma mort ? Démon !
- Mais non c'est moi, votre conseillère.
- Ah oui pardon. Je m'y fais pas moi à vos appels. Et puis c'est vachement intrusif. Imaginez que je sois en train de vider mes bourses.
- Allons Général, cela fait longtemps que vos bourses sont à sec.
- Détrompez vous, Faloppe ! Si vous aviez été là, vous auriez vu que Bialoweza est venu renflouer nos caisses ! Le liquide coule à flots ! ... C'est marrant je vous entends vachement mieux que d'habitude, vous n'êtes pas loin ? ... Vous êtes où d'ailleurs ?
- En Franconia, c'est une longue histoire. Et oui j'ai réussi à trouver une auberge vraiment pourrie, plus la gnole est mortelle, meilleure est la qualité du son.
- Tentez pas de saouler l'ivrogne avec vos histoires à boire à jeun : entre l'apéro de 9h et celui de 9h45, j'ai reçu trois missives de seigneurs avec qui j'étais persuadé que nous avions convenu d'une alliance. Mais ils sont formels : aucune de leurs ambassades n'a enregistré de demande d'alliance de notre part ! Et pour ne rien arranger c'est le bordel là avec des guerres dans tous les sens et tout. Bref j'ai dû tout refermer et avancer mon apéro à 9h30 pour me remettre de mes émotions !
- Mes excuses Général, je pensais avoir le temps de faire le tour des ambassades de la région avant la clôture de la saison inaugurale. Cela ne se reproduira plus.
- J'espère bien qu'on se reproduira ma petite.
- Général, et votre serment ?
- Pff, c'est pas du jeu. Je vais encore devoir boire pour oublier. Pastis en hiver, faut finir son verre !
- Bon je dois y aller Général, continuez sur votre lancée à l'Est, je vais regarder si Franconia peut devenir notre vitrine à l'Ouest. Et je m'occupe des alliances de ce pas.

Dernière modification par Bricec (20/04/2020 19:37:25)

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#3 22/04/2020 14:22:54

Bricec
Ghost Writer
Blason de la Maison Bricec

Re : La guerre froide et le général hivermouth

Le leader des prolétaires de Franconia est l'un de ces vieux beaux. Amateur de lutte dans ses belles années, sans doute. Aimant à femmes jusqu'aux premiers cheveux blancs, certainement. Has-been désormais à la recherche de nouveaux moyens de plaire, définitivement. Et il avait choisi la politique. Enfin c'est un bien grand mot pour ces vociférations beuglées au fond d'un poulailler puant appartenant au seigneur local secrètement reconverti un soir par lune en salle de meeting au milieu d'un continent régi par la logique féodale et chapeauté par son système royaliste. Au moins pouvait-il littéralement voler dans les plumes de son adversaire.

La discussion qui s'ensuivit n'a pas beaucoup éclairé la conseillère sur les capacités de Franconia à devenir une vitrine du nouveau modèle sociétal prôné au sein du bastion slave de Lithuania, la poussant à réfléchir à rebrousser chemin et retourner auprès du Général, la queue entre les jambes - elle, pas le Général, enfin si quand même vu d'une certaine manière. Au loin, une colonne de soldats semblait prendre la direction de la Souabe voisine : bientôt l'étendard slave flotterait aussi dans cette région.

- Stal'hynn... Stal'hynn...
- Ten'hynn, est-ce toi ?
- Monte sur la plus haute montagne du Mittelgebirge : je t'y ai laissé un cadeau...

La téléportation eut été tentante, mais l'emprise de la magie sur ces reliefs dominant la région de Franconia était trop importante pour utiliser autre chose que ses jambes. Quel dommage que le Général ne soit pas là, la légende raconte comment il aurait à lui seul vaincu l'ennemi regroupé dans une forteresse nichée au sommet d'une montagne. En faisant tournoyer son sexe dans une manoeuvre dite de l'hélicoptère, il avait pu décoller et aller déverser des barils d'alcool à brûler au-dessus du donjon ennemi, ses archers n'ayant plus qu'à y mettre le feu. On raconte aussi combien il a été difficile au Général de se consoler d'avoir gâché tant de ce breuvage sacré et qu'il aurait prêté serment de ne plus jamais se servir de son sexe ainsi devenu légendaire.

Enfin ce qui ressemble au sommet. Si je me suis plantée de montagne, je réduis en cendres le berger bégayeur de la vallée qui m'a indiqué le chemin...

Mais non, c'est bien là. Un étrange bâton est planté dans la roche. De près, on peut déchiffrer une inscription gravée dans le manche : Elixirbu. La fameuse paille légendaire du Roi Soularthur ! La conseillère avait les yeux écarquillés : le nombre de likes qu'elle allait avoir en dessinant ça sur l'Hérésie Socios, le journal magique qu'elle tient avec ses copines !

La paille dispose d'un pouvoir magique qui ne peut être utilisé qu'une fois dans le règne d'un roi d'Europe. La dernière fois qu'on en avait entendu parler, un Plantagenêt mourant en avait fait cadeau à Kalan. Quelques semaines après, toute l'Afrique du Nord passait comme par magie sous le contrôle de ce souverain en pleine force de l'âge. Car oui, le pouvoir de cette paille est immense : il suffit à son propriétaire de souffler fort dedans dans une direction pour que toutes les provinces situées là passent automatiquement sous le contrôle du blason en question. Et aujourd'hui, alors que Kalan a remis sa couronne en jeu, la voilà qui réapparait entre les mains de la conseillère.

Mais pourquoi Ten'hynn n'a-t-elle pas pris la paille pour elle ?

"Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ?". Les sermonts à l'Eglise, d'une lointaine époque où elle n'était pas excommuniée, refont surface. Tant pis pour la poutre, la paille allait servir.

Un coup d'oeil à la boussole. Une grande inspiration.

PFFFFF !

Des éclairs colorés lézardent le ciel dans la direction de la paille. Sur le bras de la conseillère, la jauge de mana descend à zéro.

C'est tout ? Je passe même pas au niveau supérieur avec cette expérience ? Vraiment pas du jeu, je vais finir par aller bouder avec Ulrich von Liechtenstein si c'est c'est comme ça.

Epuisée par cette ascension et à court de pouvoirs pour contacter le Général, elle redescend péniblement puis, après quelques heures supplémentaires de marche, tombe sur une auberge - ou un bordel, c'est pas clair - où elle peut enfin profiter de longues heures de sommeil...

- CONSEILLEEEEEEEERE !!!!

Elle sursaute. La porte de sa chambre vient d'être fracassée par un homme en armes. Le jour pointe à travers la serpillère faisant office de rideaux.

- C'EST QUOI CE BORDEL ?!

Le Général. Face à elle. Comme une impression étrange. Il ne sent pas l'alcool ? Sans doute une erreur. Derrière lui, on aperçoit le couloir et quelques femmes nues qui alpaguent les lieutenants du Général. C'est bien un bordel.

- Euh quel bordel Général ?
- Je vous envoie en Franconia pour que vous vous occupiez de l'imposition, en faire une jolie vitrine pour que les seigneurs de la région aient envie de nous envoyer de petits bourgeois en vacances, et qu'est-ce que je découvre ? Des provinces sorties de nulle part qui me font allégeance !
- Ah oui, la paille...
- Oh la la, je ne jamais boire de l'alcool avec une paille, c'est vicieux, vous en faites des conneries quand vous êtes bourrée dites donc !

La conseillère commence à retrouver ses esprits.

- Non non, la paille magique ! Elixirbu ! C'est une longue histoire mais j'ai soufflé dedans du haut des montagnes et en direction de la Lituanie. Du coup on a un fief continu du centre aux confins du continent ?
- Elixirbu ? Ils pouvaient pas trouver un nom encore plus pourri ? Et elle marche pas top votre paille hein. Bohémia ? A nous ! Meissen ? A nous ! On n'était même pas à une saison de marche de Meissen bon sang ! Même le seigneur local était incapable de me dire comment notre étendard en était arrivé à flotter au-dessus de son château ! Mais par contre, Silesia, c'est la Prophétesse, et Little Poland, toujours ce cher Moloch.
- J'ai pas dû souffler assez fort. Mais je vous assure, regardez la paille est là.

Son regard balaie la pièce. Aucun bâton à l'horizon.

- Ma petite, je comprends votre envie de bien faire, mais là on est dans une merde noire avec vos conneries. On vient de tracer une ligne de démarcation entre pleins de seigneurs qui aimeraient sans doute beaucoup passer de l'autre côté de la ligne. Et vous pensez qu'ils vont nous demander notre avis ? Bon, si on pouvait leur montre Elixirbu, je dis pas, sur un malentendu, ça pourrait marcher. Mais sans preuves ils vont nous rire au nez.
- Mais... Mais...

Ten'hynn. Elle avait sans doute récupéré la paille. Mais pourquoi ?


kreative-trinkhalme-mit-langer-flexizone.jpg
Elixirbu et les autres pailles magiques, gravure du XIème siècle ap. JC

Dernière modification par Bricec (22/04/2020 14:31:28)

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