"Fils de Troie,
Je vais donc attaquer la Toscane.
Nous verrons là si j'ai raison de jouer avec le feu et de vous croire.
De toutes manières, perdu pour perdu, si je suis félon, la victoire sera offerte à Mollusca."
Dans sa tente de commandement, le Majeur Brisé se remémorait la dernière missive qu'il avait adressée à NeO, peu avant sa félonie. C'était finalement le fil conducteur de ses pensées, qui y revenaient constamment depuis.
D'abord la haine et l'incompréhension. Puis le dégoût et l'écoeurement. Puis un sursaut de volonté, pour faire honneur au Roy Kalan, pour montrer l'exemple.
Il avait accepté que soit retranscrite en place publique sa conversation avec le descendant des Moussa, conversation dans laquelle transparaissait toute l'émotion qu'il était encore capable d'éprouver. Il s'était dévoilé, sincèrement dévoilé, dans un effort que la plupart des seigneurs d'Europe ne soupçonnaient pas.
Mais la plupart des seigneurs d'Europe ne connaissaient même pas Moussa, et nul d'entre eux n'était né lors de la campagne d'Acte1. Que pouvaient-ils bien comprendre, alors. Que voulaient-ils même comprendre ?
En d'autres temps, aujourd'hui révolus, une telle conversation rendue publique sur le forum aurait suscité de multiples réactions. Les "pour", les "contre, les "peut-être", les encouragements, les injures, les prises de position... Mais là, seules deux interventions, mièvres, sans saveur ni contenu... Les jours passaient, et puis, rien.
C'était la preuve, c'était le signe. Abandonnés les plans, abandonnés les tactiques. Et surtout, abandonnée l'idée qu'Orcrist se faisait de "son" monde. Le temps de la Plume, du crayon, était révolu.
Oui, il était désormais un monstre pour ses pairs. Une erreur du temps présent. Il était seul, ou presque.
Ce silence ouaté, teinté de mollesse et de mépris, l'assourdissait. Il sorti de sa tente et cria dans la nuit : "qui vient mourir avec moi ? Il m'en faut trois."
Un flambeau, puis deux, puis trois se rapprochèrent. Puis quatre, cinq, dix. En quelques minutes, quatre mille trois cent quarante trois soldats entouraient la tente installée au sommet d'un tertre.
Le Majeur Brisé embrassait son armée du regard, empli de fierté et de tristesse.
"Il m'en faut trois ! Vous, vous, et vous, là, avec vos capuches rabaissées sur vos visages ! Avancez et découvrez vous !"
Deux des trois soldats s'exécutèrent et Orcrist en fut stupéfait.
"- Malleus Maleficarum... Nemesis... vous aviez quitté mon commandement...
- Les règles royales nous y ont obligés, paraît-il que vos compétences étaient discutées après votre félonie. Mais comme chevaliers ou en tant que simples soldats, nous avons fait le choix de vous servir. C'est ainsi depuis des générations. Si votre lignée s'éteint, nous mourrons également."
Orcrist les regarda longuement, mais ne dit rien. Les mots devenaient insignifiants dans certaines circonstances. Il se tourna vers le troisième volontaire qui s'approcha tout en dévoilant son visage.
"-Encore vous ? Je croyais les descendants de Moussa davatange tournés vers la diplomatie que vers les combats menant à la mort. Mais vous ne faites pas parti de mon armée, si ?
- Sauf si vous me l'interdisez, j'en fais partie à présent. Vous avez tenté ce qui devait l'être, je n'ai plus rien à vous dire ni conseiller. Mais quelqu'un se doit de retranscrire vos derniers instants. Je serai là. La boucle sera bouclée."
Sans un mot, l'armée des quatre se mit en route. Juste avant l'aurore, elle vit la silhouette massive de l'enceinte fortifiée édifiée par Spikelor le Téméraire, tueur d'absents et de félons. Spik13 et le valeureux Aurelian en personne s'y terraient, avec plus de 13000 soldats.
Orcrist s'avança, d'un pas assuré, sa longue cape noire doublée de rouge flottant dans la brise fraîche du matin naissant. Ses trois acolytes portaient chacun un flambeau, Malleus et Nemesis sur ses côtés, et le descendant de Moussa à l'arrière.
Des flêches commencèrent à siffler à leurs oreilles, mais aucun des assaillants ne tressaillit ni ne dévia de sa route. Ils pouvaient à présent entendre les hurlements féroces des défenseurs, planqués derrière les murs épais, 13 321 contre 4.
Lorsqu'un trait lui perça l'omoplate gauche, le Majeur Brisé étrécit ses yeux rouges et observa l'empênage qui dépassait de sa cape. Il s'arrêta alors, et se tourna vers Nemesis, puis s'agenouilla.
"Prends ce Sceptre, et fais ce que tu dois faire".
Nemesis se saisit alors de l'artefact légendaire et le tourna dans sa main droite, comme une lance. Il leva son bras, son regard croisant celui de son seigneur. Il hésita... une flêche lui perça alors le flanc et il serra les dents, ne détachant pas son regard de celui d'Orcrist.
"Maintenant !" lui intima-t-il.
Un second trait perfora un poumon de Nemesis qui hocqueta et chancela, puis, dans un dernier effort, abattit le sceptre au Majeur Dressé en plein coeur de son Porteur, en brisant la hampe.
Orcrist hocqueta à son tour et regarda sa poitrine. Du rouge plus sombre que celui de sa cape l'auréolait progressivement.
Du sang. Depuis quand n'avait-il plus saigné ? Depuis quand n'avait-il plus respiré ?
Le monde tournait autour de lui à présent, ce monde qu'il ne comprenait plus, ce monde qui ne le voulait plus. Il vit Malleus déjà affalé à se droite, le corps criblé de flêches. Il vit Nemesis s'effondrer de même, du sang sur les lèvres, et son regard qui ne le quittait pas.
Alors, le Majeur Brisé roula sur le dos, et fixa le ciel étoilé. Il distinguait, dans les prmeières lueurs de l'aurore, la Constellation du Majeur, dont l'éclat diminuait. Etait-ce dû au jour venant ou sa mort imminente, Orcrist ne savait le dire. ses pensées erraient désormais, vers le lac qu'il ne rejoindrait plus, vers son fils qu'il avait préservé de la folie des hommes, vers son éléphenteau et son écureuil facétieux qui l'attendraient encore longtemps dans la clairière enchantée.
Avant que la Mort ne 'emporte, enfin, il prononça ces paroles, celles là même qui avaient été scandées en tout début de campagne, une éternité:
"On ne peut tuer ce qui est déjà mort.
N'est pas mort ce qui à jamais dort.
Cela veut-il dire que je puis être tué ?
Ou pas...
Au bal des pisse-menu, des gens de courte-vue, des courtisans convenus
Je ne participerai pas.
Mon Sceptre au Majeur Dressé sera le symbole,
Le signe de ralliement des couillus."
Ainsi expira Orcrist.
Au moment même où il fallait réserver une compétiion spéciale pour les seigneurs "couillus".
Au moment même où l'on traitait les trois non-vainqueurs d'une campagne scandinave, Hidjing, comme des héros.
Son dernier compagnon acheva de retranscrire ses ultimes mémoires, enroula le parchemin et l'accrocha à la patte d'un faucon qui prit aussitôt son envol.
Puis il se redressa, marcha d'un pas lent et assuré vers la forteresse d'où partaient encore des milliers de flêches qui assombrissaient le ciel d'aurore, et écarta les bras.
Les 13 321 défenseurs criaient leur joie pour cette éclatante victoire, mais ils n'avaient rien compris.
Dernière modification par Orcrist (02/03/2015 11:41:30)
