En Silesie, Orcrist se baladait parmi la population qui avait retrouvé, provisoirement, un bonheur serein. La Grande Boucherie n'avait pas épargné cette province, pillée et re-pillée en si peu de temps. Les quelques écus investis dans son économie avaient redonné le sourire à ses habitants.
L'ambiance était légère, voire primesautière.
Et pourtant, le Porteur du Sceptre au Majeur Dressé ne communiait pas avec cette joie. Il regardait alentours, ses yeux rouges luisant faiblement dans le crépuscule égayé de feux de joie allumés ça et là, au milieu des grandes artères commerciales ou devant les auberges à nouveaux bondées.
"Seigneur !" lui adressa un lieutenant qui passait par là, une chope de bière à la main et reluquant à quelques mètres de l'endroit une jeune femme trop maquillée et pas assez habillée pour son âge... "N'êtes vous point satisfait ?
- Je le suis, oui, pour tous ces gens. Et pour le renom de ma Maison également. Mais tout dépend de moi, de mes choix, j'en suis le responsable.
- Ben oui, vous en êtes le responsable, c'est grace à vous, quoi...
- A cause de moi, oui.
Le lieutenant perdit son regard dans sa chope de bière en essayant de comprendre. Il savait à qui il parlait, et que les mots, encore plus que d'habitude, avaient un sens dans cette conversation.
"Euh... mais...
- Voilà, c'est exactement ça.
- Ah ?
- Et oui. Vois-tu, si j'avais la certitude que ce bonheur allait perdurer jusqu'à la prochaine course au trône, je le partagerais volontiers. C'est un bonheur de fin de Boucherie, ça, quand les ennuis sont dépassés et que l'avenir est radieux... et surtout que plus rien ne peut arriver.
- Et...
- Et là c'est beaucoup trop tôt. Tous les regards sont braqués sur moi, et ceux qui ne me regardent pas sont certainement houspillés par ceux qui me regardent. Je passe mon temps à conseiller à mes amis, surtout sur une Boucherie, de rester confortablement installé, jusqu'à la troisième joute royale, aux alentours du cinquième rang de prestige royal. A l'affut, tranquille, attendant tel le cobra de sortir pour mordre et vaincre, si rapidement que toute réaction et impossible.
Aujourd'hui, déjà que ceux de ma Maison font l'objet, généralement, d'un traitement diplomatique baveux de faveur, je n'ose imaginer ce qui se dit sur moi et le danger que je représente.
Plus grande renommée, plus grand nombre de chevaliers, plus grand nombre de terres. Quoi d'autre...
Pourtant, les plus compétents savent qu'au delà des statistiques, la réalité présente un autre visage. Quinze chevaliers ne veut pas dire quinze attaques potentielles (oui, je sais, le +15 légendaire), même si j'ai confiance en mon petit dernier, Sarko, à 3 de renommée. Six terres n'ont pas la même valeur selon qu'elles sont saines ou pillées. Et la renommée globale dépend de tellement de paramètres qu'en tirer des conséquences à long terme serait une ficelle énorme.
Non, en fait, la seule chose qui me rassure est le discours tenue par Saori. Elle sait, elle, la valeur réelle de mes actes. Elle sait que je n'ai pas l'envergure d'un vainqueur, elle sait que je suis sans saveur, sans imagination, et surtout dénué de toute compétence militaire de base. Transparent, comme ma peau, parfois, les nuits de pleine lune. Elle sait tout cela, j'espère donc que les autres seigneurs d'Europe sauront l'écouter pour que je disparaisse vite de la lumière et puisse regagner la pénombre que j'affectionne et qui agresse moins mes yeux."
Le lieutenant releva lentement sa tête et détacha lentement son regard de la chope de bière, en évitant de croiser celui de son seigneur, pour le porter, subrepticement, sur la damoiselle stationnant devant une auberge crasseuse.
"Ah oui, une dernière chose. N'y pense même pas. Elle est trop jeune et mérite mieux que ce que tu peux lui proposer."
Dernière modification par Orcrist (03/03/2014 21:55:12)