Un homme au crâne dégarni observait le clapotis de la mer Tyrrhénienne caresser doucement les rochers blanchâtres du rivage de Toscane. L’eau était claire, le ciel azur, l’air sentait bon le thym, les grillons s’en donnaient à cœur joie. Quelle différence avec les grognements des cochons sauvages de l’île corse toute proche ! Qui pourrait se douter qu’à 200 mètres de là, plus au Sud, deux armées regroupant au total 3000 soldats s’étaient affrontées du lever du soleil jusqu’au milieu de l’après-midi ? Par chance, les vents soufflaient vers l’Ouest, charriant l’odeur des morts vers la mer, tel le doigt divin expulsant un Adam et une Eve pas assez purs pour le paradis.
Les Étrusques avaient peuplé ces terres avant que Kalan ne dissolve les peuplades et unifie le continent européen, mais de nombreux voyageurs affirmaient dans leurs mémoires que la Toscane était restée et resterait toujours la terre bien-aimée des descendants d’Étrurie, au point que la province avait pris leur nom. Par respect envers ce peuple, l’homme songeur avait décrété que cette terre pourrait continuer d’arborer son propre blason aux côtés de celui de l’abbaye corse, abbaye dont le religieux était issu.
Bien des soldats discutaient de ses origines, car le mystérieux abbé ne pouvait cacher son fort accent germanique, que certains disaient être slave, et ses aptitudes militaires démontrées lors de ce première conflit ne pourraient qu’encourager les rumeurs. Il allait devoir leur révéler son histoire, sa désertion de l’armée de Kalan après quinze années au service de Sa Majesté alors dans la force de l’âge, après avoir arpenté mille champs de bataille et imaginé autant de stratégies. Il allait devoir leur expliquer pourquoi son entrée dans la pauvreté et la foi lui avait tant apporté, lui qui vivait dans l’opulence et le concret, comment le maniement du chapelet avait pu améliorer celui de l’épée.
Mais si Carl von Clausewitz se devait d’éclairer ses soldats, ces hommes qui avaient abandonné leur foyer, leur travail, et qui avaient mis, aveuglément, leur vie entre les mains d’un mystérieux homme d’Église en cette première saison, l’abbé se sentait aussi encouragé à expliquer ses agissements à ses pairs, aux autres blasons du continent qui, eux aussi, ont connu l’horreur du champ de bataille et qui ont, pour certains, choisi d’officialiser leur entente diplomatique avec l’abbaye corse. Ceux-là doivent savoir que des alliés de l’abbé, aussi bien intentionnés que bien informés, ont mis en garde la Corse contre un fléau imminent, un seigneur contrôlant le Vatican et souhaitant évincer le seul homme de foi capable de contrarier son autorité, un seigneur que certains auront connu sous le nom de Foulques, maître du Latium. Dès lors, la machine diplomatique s’était mise en route, et l’abbaye corse était en quête d’alliés, afin qu’on lui donne la force de relever ce défi qui s’annonçait aussi ardu que la lignée Foulques était expérimentée. Et les conseillers diplomatiques de l’abbaye, qui n’étaient forcément pas les meilleurs étant donnés les moyens limités de l’établissement catholique, avaient convaincu Carl d’appeler quelques voisins à ses côtés, au cas où la guerre contre Foulques devait durer. Le seigneur Von Clausewitz avait accepté à contrecœur, sachant que forcer la main n’est jamais la meilleure option, mais il était dos au mur, et espérait secrètement en finir dès la première saison, de sorte que son appel soit sans conséquence aucune.
Et l’abbé a vu ses rêves devenir réalité. Non seulement il a pu compter sur le soutien de nombreux blasons, et pensera à les remercier, mais en plus ses voisins et amis qu’il a appelé à ses côtés ne souffriront d’aucune obligation de déclaration de guerre, puisque la Toscane pouvait désormais se targuer d’être en paix avec chacun.
Alors certes, la suite de la campagne sera difficile pour le blason corse, chassé de l’île de Beauté en raison d’impôts trop élevés et limité à l’appel d’un seul (piteux) chevalier afin d’avoir pu attaquer la Toscane avant que les troupes du Latium n’arrivent. Mais l’abbé est déjà ravi de ce petit coin de paradis, et espère que ses voisins accepteront de lui laisser un peu d’espace. Il se mettra alors à leur service, tant dominical s’ils devaient manquer de prêtres que diplomatique s’ils devaient compter sur ses armées et ses diplomates face à un seigneur mal intentionné.
Mais ceci est une autre histoire...
Dernière modification par Bricec (20/02/2012 17:09:44)
