Antonio faillit manquer la dernière marche de l’escalier de service lorsque le tintamarre matinal et quotidien se déchaîna dans le château. Le serviteur réajusta son plateau et reprit sa route tant bien que mal. Le moment qu’il avait tant redouté jusqu’à en perdre le sommeil venait de survenir.
Le réveil du Maestro effectué au point du jour était un rituel quasi sacré dans ce Reggia di Caserta, le palais royal de Naples et le nouveau théâtre d’une farce qui avait un arrière-goût de guillotine pour Antonio. Ce n’était plus de son âge. A plus de soixante ans, courir dans le parc après des écureuils, se lever avant l’aurore pour cueillir des oranges et les apporter à son maître au chant du coq à travers des couloirs et des dédales sans fin vous rappelait que la vie ne tenait qu’à un fil.
Comme chaque matin au son des violons, tout le château s’éveillait et courait en tous sens afin d’accomplir des tâches aussi spirituelles qu’indispensables : laver un sol déjà propre, préparer plusieurs repas chacun respectant l’un des dix menus choisis la veille par le Maestro sans oublier le plus important, commencer une journée de musique qui ne s’arrêterait qu’une fois le Meraviglioso endormi.
C’est sur un air piano qu’Antonio s’épongea tant bien que mal le front avant de finir de gravir les marches de l’aile Sud qui menait aux appartements du seigneur Melkor. Lorsqu’il arriva devant la grande porte, toute la Cour était déjà au chevet de Son Altesse. Une vingtaine de courtisanes en petite tenue écoutait les blagues de ce bonimenteur d’Ottavio, mélange sordide entre un bourreau et un saltimbanque. Le genre d’humour et de paradoxe que Sa Majesté trouvait « exquise ». Après s’être frayé un chemin entre les froufrous et les armures de quelque baron, Antonio trouva son maître allongé sur son lit, déjà vêtu et maquillé comme pour la parade. Le rituel ne variant pas, le valet se rendit directement devant la fenêtre où Melkor ne tarda pas à le rejoindre. Se saisissant du quart d’orange trônant au milieu du plateau d’argent désespérément vide, le Maestro laissa couler quelques gouttes du jus dans sa gorge avant de secouernégligemment et comme chaque jour la tête.
« Mais enfin Antonio, cette orange n’est pas mûre ! Qu’on coupe l’arbre et qu’on en replante un autre. Ce n’est pourtant pas compliqué d’entretenir un verger enfin. Que va-t-on dire de moi, que moi, il Meraviglioso, il Fortunato et il Bella Signore de Naples ne peut pas manger de bons fruits sans les acheter ? Tu te rends bien compte que non enfin très cher. Et puis j’étouffe ici, qu’on m’amène au parc, la journée est si belle et ne fait que commencer. Et qu’on apporte mes mignons ! ».
Et comme chaque matin, Antonio s’inclina en récupérant son misérable bout d’orange alors que le Roi et sa suite sortait en trombe dans les couloirs du palais. Le serviteur réprima un mal de dos dans un grand soupir. Là, tout de suite, son rôle consistait à courir aussi vite que possible jusqu’au jardin pour y arriver avant le Sire Melkor et qu’à la sortie de ce dernier, une volée de moineaux embellisse sa journée avec ses petits oiseaux « mignons » comme il se plaisait à les appeler. La journée ne faisait que commencer…
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« Cazzo ! Antonio ! Comment se fait-il que personne ne me mette jamais au courant des choses importantes dans ce bas monde ? Dois-je vraiment tout faire tout seul ? Ne crois-tu pas que je sois suffisamment éreinté à suer sang et eau chaque jour pour faire tourner ce palais. Sais-tu combien cela me coute d’engager des gens qui ne font rien ? Va voir ce cornutto d’intendant et dis-lui d’aller voir à Rome si j’y suis. Fais venir Caterina et dis-lui qu’elle assumera le rôle d’intendante. Ne pas l’avoir à mes côtés me rompt le cœur. Et cesse de me distraire, je suis là pour te parler d’un sujet important. Le Roy Kalan est mort ! Alors file et va distribuer la douce parole de Melkor de Naples. Que tout homme, ou toute femme, n’oublie pas le femme. Comment ça tu ne notes pas ? »
Le seigneur des lieux se lança alors dans une longue litanie d’insultes et de jurons le temps que ce pauvre bougre d’Antonio réussisse à faire mander une plume et du papier. Et c’est ainsi que Melkor se lança dans une dictée, un véritable hommage à la paix et à la fraternité tout en caressant sa longue moustache qu’il voulait tenir « d’à la française ».
« Et puis après tout, ce palais est trop fastueux. Nous irons à Castel del Monte. Dis leur que tous les seigneurs sont bienvenues en Pouilles pour peu qu’ils laissent leurs épées et leur égo à mes portes. Peut-être trouveront-ils à leur goût la pulpe d’Italie… N’oublie pas de dire que je suis un très pieux personnage, bon chrétien et tout ce qui suit, je m’en voudrais que la proximité du Saint Siège nuise à notre bon épanouissement. Allez maintenant fais venir ma calèche, je me rend à Bari voir ma délicieuse Svetlana. Ne pas la voir me rompt le coeur. »
Dernière modification par Azildur (18/09/2012 21:58:31)
Arda para subire, brûle de t'élever
