Le Soleil ne régnait pas sur la Bohême. La pluie non plus d'ailleurs. Une brûme grise et inutile berçait les rues et les castels de cette région alors qu'Octave s'y rendait pour voir et revoir la belle Saori. Il ne comptait pas jouter, puisqu'il avait été moqué et conspué en arrivant aux portes du château du prétendu "Hun" qui n'avait de terreur que le nom.
Sûrement très drôle pour ceux en haut des remparts, Octave avait été refoulé comme un malpropre et se rendait donc en Bohême, pour assister à la victoire de son propre lieutenant. Voilà à quoi pensait Octave, silencieux, lors de la traversée de l'Europe.
Ses lieutenants se taisaient, bien trop au courant des accès de colère de leur seigneur, qui pouvait basucler à tout moment. Quand il était ainsi il n'existait que deux issues : une colère sourde et aveugle qui menait à l'autodestruction, ou une depression profonde qui le submergeait et où le fief entier finissait par se révolter. Ou par un suicide.
Octave oscillait entre les deux en arrivant en Bohême. Mais voir la belle Saori, qui était plus belle qu'aucune femme sur Terre - d'ailleurs, on ne pouvait soutenir le regard plus de quelques secondes, de peur de voir son iris carbonisé - lui remit un peu de baume au coeur. La fête était somptueuse, et le comble du raffinement.
Des danseuses et des bardes se succédaient avec une délicatesse infinie, et on coulait des rivières d'or et d'argent pour les invités de marque - mais encore fallait-il en être un pour le voir - ainsi que des pétales de rose et de tulipes venant de Hollande.
Le spectacle était d'un ravissement sans fin, et on n'avait jamais vu tel faste, tel goût, telle beauté. La totalité de l'univers s'accorda pour dire que Saori était un astre qui faisait briller les autres, et Octave n'échappait pas à la règle.
En quittant le château, qui sentait le parfum tout entier, Octave s'extirpa de son rêve, en route vers les Balkans. Il devait se montrer critique, et reconnaître toutefois un défaut majeur à cette fête.
Ce qui semblait être un homme - ce qu'il avait d'abord pris pour quelque manant - rôdait dans le château sans que personne ne le dérange. Dans ce temple du bon goût et de la luxure, cette apparition était déplacée. La chose ne rampait pas complètement, mais ne marchait pas non plus. Les yeux injectés de sang, la bave à la bouche, le pauvre hère n'arrivait pas à articuler autre chose que quelques onomatopées bien tristes. La jambe folle, la main tremblante, il allait et venait dans une lenteur desespérante.
Le plus étonnant fut de voir qu'il comptait participer à la joute. On mit des heures à essayer de le mettre sur un cheval, qui refusait de se laisser chevaucher par telle puanteur. Finalement le pauvre homme bascula et vomit toutes ses tripes, de telle sorte qu'on le fit sortir.
Octave ne pouvait s'empêcher d'admirer Saori pour sa grandeur d'âme : jamais en Dobruja on n'aurait toléré pareil spectacle avec un fils de porcher. Pis, l'homme paraissait agressif et cherchait à se battre à tout prix. On avait même vu un écuyer, ne sachant plus comment réagir, être obligé de lui faire une clé de bras et de le jeter dans la mangeoire des porcs pour le calmer.
C'est à ça que pensait Octave en rentrant chez lui. Un instant toutefois, il failli se demander si ce n'était pas le Comte Agion. Mais ne l'ayant jamais vu personnellement, il n'avait pas moyen de le savoir. Et puis de toutes façons, qu'importe. Celui que les femmes qualifiaient de plus beau seigneur d'Europe réajusta sa tunique - très fine - et repensa à la douce Saori.
Et puis plus jamais dans les Balkans on ne repensa à la Loque Humaine, Agion le toctoc, le Fol, le Triste Sire, le Pitre Sanglant, le Fossoyeur des Vaches, l'Empêcheur de tourner en rond, le Possédé de Split.
Dernière modification par Azildur (07/04/2020 12:51:33)
Arda para subire, brûle de t'élever