Aux joutes d'Ostersund, capitale du Jamtland, Harald Magnusson était venu, aux côtés de ses frères écossais Higgins le Puissant et Olaf le Glorieux. L'invitation avait été faite aux quatre vents, sans se soucier de l'existence des seigneurs, sans un mot même. Ah, qu'importe ! C'était la vie des Gaëls, de vivre et de mourir dans le sang et l'indifférence générale. Cette joute n'était qu'une mascarade de plus, une réunion de jolies jambes et de chevaliers imberbes aussi frais que la rosée du matin.
Ainsi les écossais étaient venus, comme chaque seigneur du royaume avait été convié. Les iliens étaient venus en personne avec une suite réduite. Harald lui même n'était accompagné que de ses deux fils, Osvald et Thorolf. S'il était écossais, il descendait directement des seigneurs Danes, d'où il tirait son nom. En Ecosse, il était surnommé Harald MacAzildur, mais il préférait se nommer comme ses ancêtres, car il avait juré aux vents qu'il retournerait au berceau de sa lignée.
Ainsi, Harald pénétra Ostersund comme une lame chauffée à blanc dans une vieille motte de beurre. Les gardes le laissèrent passer et nul ne se soucia plus de son sort. Toute la ville puait les festivités. L'odeur de fumée de la viande qu'on rôtissait, le poisson qu'on étalait, les chariots encore, qui passaient et repassaient sur la terre trop labourée. Les petites gens qui allaient en riant, les coursiers qui traversaient la route sans prendre garde.
Les écossais n'eurent guère le temps de se mettre en quête d'une taverne digne de ce nom. Une petite estafette aux couleurs bigarées s'empressa alors de mener, non sans nervosité, les trois seigneurs au chateau. Alors qu'ils remontaient la rue principale, Harald put admirer à souhait un spectacle qu'il avait déjà trop vu dans le Sud de l'Angleterre. Voilà que des seigneurs apprêtés arrivaient à leur tour aux festivités. Le nouveau seigneur de Stavanger, une des villes les plus peuplées de Scandinavie, ne prêta pas attention aux nouveaux venus et ne retint pas leur nom. Il y aurait suffisamment d'occasions de les considérer, une fois sur le pré.
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Alors que la soirée battait son plein, Harald trouva enfin un intérêt pour ce moment puisqu'il retrouva ce qui lui manquait depuis le départ : l'ivresse. Il passa le fort de la soirée à rire grassement aux blagues et conversations des écossais entre eux, sans se soucier des regards insistants et honteux des convives autour. Harald décida pourtant de se lever à un instant et se dirigea vers les lattrines, pour arroser de la sainte boisson les plantes disposées ça et là dans la grande salle. Avant qu'il puisse mettre en oeuvre ses dessins, plusieurs hommes vinrent l'accoster. Ils étaient tous en pourpoint de couleurs chaudes, bien brossés et bien peignés. Différents écussons. Il s'agissait sans nul doute de différents vassaux et autres nobliaux des Cours européennes. Harald risqua un oeil et reconnut les blasons de Chesselin, d'Ykar et d'Eglantine. Le plus grand des hommes s’avança et s’adressa plus à ses camarades qu’à Harald directement.
« Harald Magnusson, seigneur d’Ecosse. On raconte que votre suzerain, Higgins le taiseaux comme on l’appelle, n’est pas satisfait de vos services. A dire vrai, comment peut-on servir en se vêtant de peaux de bête et autres immondices plutôt que de vivre comme un véritable chevalier ? Les femmes d’Ecosse sont-elles si peu regardantes ? »
Les autres s’éclaffèrent mais se turent net lorsqu’Harald éclata d’un rire grave et profond. Puis il s’approcha d’un pas lourd du chevalier jusqu’à ce qu’ils soient presque nez à nez. Il avait beau être grand, Harald le dominait de toute sa stature d’Highlander et lui servit quelques mots de son cru.
« Comment va ta mère ? Ne s’inquiète-t-elle pas que son jouvenceau s’éloigne de la petite bâtisse qu’elle t’a construite ? Petit, tu sens la fleur et la pisse de bambin. Prends garde à ton pourpoint et tes chausses toutes neuves, elles seront bientôt trempées. Je regrette de ne pas voir le seigneur Montloup à cette table. Sais-tu pourquoi ? Car je lui ai tranché la tête, j’ai forcé ses filles et j’ai mis à sac tout ce qui restait de sa présence. Il a disparu, purement et simplement, et je me dresse face à toi, avec le sang de plus de 300 soldats. Va dire à tes amis, va dire à tes pourceaux de camarades, qu’Harald Magnusson est ici pour leur apprendre à se tenir. »
L’homme blémit et se retrouva en plein doute quand une troisième voix vint interrompre ce manège. Il s’agissait de Vlad, le vieux, qui demandait à chacun de retourner s’assoir. Les chevaliers ne se firent pas priés et déguerpirent, laissant les deux hommes seuls.
« Vos manières laissent à désirer et vous déshonorent Magnus. Je ne vous laisserai pas approcher Eglantine. Vous êtes un animal.
- Ah ! Vrai de vrai que je suis un animal. Mais que connais tu de la vie des Gaels, vieux Vlad ? Qu’en sais tu ? J’entends d’ici ta championne se plaindre à longueur de temps de sa place, de la place compliquée de Jamtland, de ses voisins, des problèmes de la guerre. Mais connaissez vous le destin d’un Gael ? Promis à la guerre, à la misère, quoi qu’il arrive. Des seigneurs de clans différents, entassés dans des terres froides et désolées où rien ne pousse. Un pays dur comme ses hommes, empli de déférence et de violence. Que sais tu de la violence de la mer, que sais tu de la morsure du sel ou de la traîtrise de la lande lorsque l’orage s’y mêle ? Rien, tu n’en sais rien. Tu juges mon peuple sans savoir par quoi nous sommes passés, sans savoir à quoi nous sommes promis. Nous vous dérangeons car nous ne faisons pas de rond de jambes, nous ne mentons pas, comme vous. Cela te dérange Vlad et dit à Eglantine qu’elle changera d’avis sur moi lorsque je serai devenu le seigneur de Jamtland. Car je vais le devenir Vlad. Et si tu insultes encore mon peuple, sache que j’égorgerai tous ceux qui te sont chers, et tu deviendras mon nouveau bouffon. N’est-ce pas ainsi que règnent les rois de bonne société ? Crève, Vlad. »
Et Harald retourna à ses occupations avant de se servir d’une nouvelle pinte. Vlad retourna s’assoir auprès d’Eglantine et lui adressa un sourire rassurant, comme si Harald n’avait dit que des idioties. Les trois écossais furent les derniers à quitter la salle, encore cuits des tonnes d’hydromel qu’ils avaient ingurgités.
Ils furent cependant les premiers sur la lice, prêts et armés. Le premier combat opposa Ykar à Olaf et Chesselin à Higgins. En quelques passes, les beaux chevaliers furent jetés bas par les puissants écossais. Harald s’eclaffa et se lança contre ses camarades, qui le désarçonnèrent de la même façon. Higgins le Puissant rafla la mise et les trois seigneurs s’en furent, aussi simplement qu’ils étaient venus.
Avant de disparaître de la vue des gardes, Harald arrêta sa monture et se retourna. Il poussa un long cri, celui de son clan, en guise d’avertissement. Tous ceux qui se refusaient à respecter les clans écossais le paieraient cher. Ils avaient tort de craindre Higgins, tort de croire que ce dernier était suzerain, ou chef. Ils ne comprenaient rien au fonctionnement des clans écossais. Les hommes se battaient seuls et à partir de cet instant, Harald sut qu’il avait un nouvel objectif.