Le vent balayait la vallée emportant avec lui les flocons que le ciel offrait à la terre brune. Gwendaf frotta ses mains l'une contre l'autre en soufflant de l'air dessus. Chacun de ses pas était lourd, la marche forcée que lui avait imposée son oncle Ergon ces deux derniers jours avait puisé en lui toute l'énergie dont il pensait être capable de déployer. Gwendaf s'asseya sur une souche face à Ergon et rentra sa tête dans ses épaules. Il aurait aimé disparaître sous terre et qu'on lui fiche la paix. Tous lui faisait peur ; la raison qui les avait amené à quitter leur foyer, cette route dangereuse où les brigands étaient monnaie courante, cette sombre forêt qui dominait de sa masse sombre la vallée, la nuit qui tombait sur ces terres. Même son oncle lui faisait peur, un homme immense, bourru, à la longue barbe hirsute. Des yeux enfoncés dans un crâne large et bosselé. Une mâchoire d'acier. Une voix puissante et froide, sans émotions. Gwendaf fouilla dans sa mémoire pendant quelques instants à la recherche d'un jour où il aurait vu rire - ou même sourire - cet oncle dur et froid... Il n'en retrouva aucun...Ergon travaillait la lame de sa hache qu'il semblait sans cesse trouver trop peu aiguisée. A l'aide d'un caillou, il frottait d'un geste assuré la lame qui grinçait d'un cri métallique à chaque passage. Il jetait de temps en temps un regard à son neveu et produisait avec ses lèvres une grimace dont seul lui connaissait le secret et la signification réelle. Gwendaf ne se faisait pas de mystère sur ses pensées ; il était maigrichon, maladroit, avait un visage pâle - presque maladif - et des yeux apeurés au moindre bruit ou mouvement sortant de l'ordinaire. Aux yeux d'Ergon, il faisait sans doute un piètre homme.
"- Tu n'as pas froid toi ? tenta Gwendaf pour briser le silence entre les deux hommes.
- Le froid n'est rien comparé à ce qui nous attend.
- Et... qu'est-ce qui nous attend ?" lança le jeune homme hésitant.
Ergon arrêta son mouvement et leva les yeux vers Gwendaf, le regard interrogateur. "Non, je ne le fais pas exprès" se disait intérieurement Gwendaf qui soutena le regard de son oncle.
"- Des choses qui te dépassent.
- Je ne voulais pas venir. C'est ma mère qui...
- Ma soeur n'a jamais su y faire avec toi. Elle a fait de toi un peureux, incapable de survivre seul, qui ne s'est pas se battre. Tu croiserais un ours qu'il ferait de toi de la chair à saucisse...
- Tu... Tu t'es... tu t'es déjà trouvé face à un ours ?
- On peut dire ça, mouais. Mais, il n'est plus des nôtres pour en témoigner.
- Tu as... tu as tué un ours ?
- J'n'allais pas attendre qu'il me fasse la peau demeuré."
La peur laissait la place à la stupéfaction mêlée - et il le regrettait - à de l'admiration.
"- Moi... je ne pourrais pas...
- Je sais. C'est bien là ton malheur. Tu ne feras jamais rien de ta vie. Tu n'es qu'un résidu, une fiante sortie de la fange, un furoncle au milieu de la tronche, une maladie, un défaut de la nature".
Cette fois-ci, c'était de la colère et même de la haine qui emplissaient son coeur. Ses yeux se remplissaient de larmes et de rage. S'il avait eu du courage, s'il avait... oui, si. Si seulement.
"- Va dormir. Demain, nous atteindrons la garnison. On verra alors tout l'étendue de ton inutilité."
Gwendaf observa quelques secondes cet homme qu'il détestait. Qu'il avait toujours détesté. Demain, il faudrait prendre les armes à ses côtés. Oui, les armes à ses côtés... Le courage... Si seulement...
Dernière modification par Chlodomir (14/11/2018 15:31:01)